INSAISI
SSABLE
PORTRAIT

« Un homme se propose la tâche de dessiner le monde. À mesure que les années passent, il peuple
un espace d’images de provinces, de royaumes, de montagnes, de baies, de navires, d’îles, de
poissons, de chambres, d’instruments, d’astres, de chevaux et de personnes. Peu avant de mourir, il
découvre que ce patient labyrinthe de lignes trace l’image de son propre visage. »

D’abord nous ne voyons pas ces figures. Elles se cachent ou sont cachées. Puis peu à peu, des parties de
corps humains ou d’animaux font, dans ce tumulte, leur apparition. Un oeil, une bouche, un nez
trouvent leur place.
Cet assemblage de signes ou ces détails infiltrés sont comme la preuve que l’existence est composite.
Mais il n’en reste pas moins que se joue ici aussi le sort de la figure en général. Du portrait et de
l’autoportrait. Celui de la présence. Et de la question de la possibilité de la photographier, de saisir cet intime.

Il est difficile de percevoir ces figures, mais une fois l’oeil habitué, quand il a franchi les obstacles et que
leur présence est enfin discernable, le face-à-face avec ces visages peut avoir lieu. Et il est éminemment
troublant.
D’abord, la présence de ces figures met à nu leur absence. Le portrait se substitue au visage absent et
devient une figuration. Comme un redoublement de cette substitution, il semble qu’il s’agisse ici, d’une
image mentale, du spectre d’un visage. Comment atteindre une notion claire de l’homme ?

Cette délicate présence met également en avant la proximité de l’autre et dans le même temps son
éloignement. Cela permet d’éprouver à la fois sa propre éclosion et sa disparition. Il n’est rien d’autre
que le rapport à soi se signifiant par la sortie de soi.

Que se cache-t-il derrière ses visages ? Pourquoi la dimension émotionnelle est-elle dissimulée, cachée,
sous-jacente, impalpable ?
L’artiste, peut-être à son insu, échappe dans son autoportrait au visage et devient imperceptible, voire
clandestin.

Quel est ce conflit latent qui existe entre le masque social et l’identité de l’homme ?

Texte : Delphine Alleaume

2015 – « Présence » 1 à 7, tirages sur papier argentique rc Kodak, 80×120 cm
2015 – « Portrait » 1 à 6, tirages sur papier FineArt Hahnemühle satin, 21×28 cm